Dermatoses professionnelles

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I- Définition :

Les dermatoses professionnelles sont des affections cutanées dont l’apparition et le développement sont liés au travail.

Cette définition regroupe en fait deux catégories distinctes de dermatoses :

1- Les dermatoses d’origine exclusivement professionnelle :

Dont le lien causal est bien établi entre l’apparition et l’aggravation de la dermatose et des conditions de travail : cas des dermites d’irritation aux solvants et cas des eczémas de contact allergique (eczéma au ciment).

2- Les dermatoses aggravées par l’activité professionnelle :

Ce sont des affections endogènes pouvant se manifester cliniquement lors de certaines activités professionnelles ou être aggravées par le travail : cas du psoriasis des mains suite à des microtraumatismes répétés ou même des frictions mécaniques répétées (perçage et ponçage) et cas de l’eczéma atopique des mains ou dyshidroses qui est aggravé par le travail en milieu humide ou au contact d’irritants (huiles solubles).

II- L’importance des dermatoses en médecine du travail :

  • Les dermatoses représentent 50 à 70% des maladies professionnelles,
  • Plus de 10% des pathologies cutanées,
  • 1 à 2% des salariés en activité,
  • Causes d’augmentation de l’incidence des dermatoses professionnelles au cours des dernières années :

– Développements industriel et agro-alimentaire,
– Nouveaux matériaux et produits chimique,
– Formation insuffisante à l’hygiène et à la prévention,
– Utilisation inadaptée des produits de nettoyage et de protection cutanée.

  • Les dermatoses professionnelles : représentent 90%de dermites de contact dont 80% atteignent les mains et 10% la face,
  • 80% irritatives et 20% allergiques,

III- Classification :

Autrefois les DP étaient classées en deux types (classification de Sezary) :

  • Les DP orthoérgiques : observées de façon identique, chez tous les sujets exposés dans les mêmes conditions aux mêmes agents,
  • Les DP allergiques : dépendant d’une réaction allergique.

Actuellement les DP sont classées selon les facteurs étiologiques :

  • Dermatoses infectieuses dues à des agents bactériens, mycologiques viraux ou parasitaires (intertrigo, onyxis, folliculites suppuratives, herpes circiné…),
  • Dermatoses dues à des agents physiques : vibrations, rayonnements ionisants, UV, microtraumatisme…),
  • Dermatoses dues à des agents chimiques : brûlures, dermite d’irritation, dermite d’usure, pigeonneaux.

IV- Diagnostic en milieu professionnel :

A- Anamnèse :

Doit préciser :

  • Les antécédents dermatologiques et d’atopie,
  • Début d’apparition de la dermatose : date par rapport au début de l’activité professionnelle :

– Avant ou après l’activité professionnelle ?
– Consécutive à un changement de produit chimique ?

  • La chronologie d’apparition lésionnelle rythmée ou non par le travail : c’est-à-dire rémission pendant les vacances et les week-ends et réapparition à la reprise de travail,
  • La topographie initiale des lésions : liée ou non au contact avec le produit (La main est une topographie de préhension qui oriente vers un produit manipulé par le patient), exemple : atteinte de la face dorsale des mains pour eczéma de contact),
  • La coexistence chez d’autres travailleurs de l’entreprise : qui évoque le caractère collectif(en faveur d’une dermite d’irritation),
  • L’étiologie est plus difficile, il faut retrouver l’irritant ou l’allergène.

B- Enquête professionnelle :

La démarche est la suivante à travers l’enquête professionnelle :

  • S’attachera à rechercher avec le patient les différents produits à incriminer afin d’orienter l’étape suivante,
  • Les tests épicutanés qui viendront de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse de départ,
  • Détailler l’activité professionnelle et le geste professionnel à savoir préciser la nature des produits manipulés (étiquettes fiches de données de sécurité),
  • Occasionnellement ou quotidiennement, demander si l’irruption coïncide avec un changement de procédé de fabrication,
  • Préciser les moyens de protection :

– Sont en quelles matières les gants que vous portez ?
– Quels produits de nettoyage des mains utilisez-vous ?
– Quelles crèmes de protection utilisez-vous ?

  • Parfois le médecin du travail sera amener à se rendre sur les lieux de travail à effectué une étude de poste,
  • Essayer d’établir un lien précis entre les gestes professionnels et la topographie des lésions (exemple: eczéma au nickel des ciseaux chez les coiffeurs),
  • Réaliser une enquête sur les sources extra professionnelles : bricolage, jardinage, entretien de véhicules, produits cosmétiques, parfums, topiques locaux et traitements.

C- Examen clinique :

Il est capital d’examiner tout le tégument avec recherche d’autres localisations :

1- Dermites irritatives de contact :

  • Ne dépendent pas de facteurs immunologiques, dues à l’application unique ou répétée d’agents chimiques irritants,
  • Elles apparaissent dans les premières heures après le contact,
  • Surviennent pour tous les sujets exposés à l’irritant avec un caractère collectif,
  • Clinique : la lésion se présente sous forme de :

– Xérose avec fine desquamation et disparition des empreintes digitales en cas d’atteinte des doigts,
– Souvent une hyperkératose réactionnelle,
– Crevasses parfois profondes et douloureuses qui se surinfectent.

  • Prurit peu important,
  • Pas de lésions à distance : limitées à la zone de contact avec l’agent causal,
  • Disparition des lésions 3 à 4 jours après cessation de l’exposition au risque,
  • Les tests épicutanés sont négatifs.

2- Eczéma de contact allergique :

  • Il est du à l’application sur la peau d’une substance exogène (haptène) déclenchant une réaction d’hypersensibilité retardée à médiation cellulaire type IV de coll et coombs se déroulant en deux phases :

– Première phase de sensibilisation : débutant dans l’épiderme demeure 4 à 7 jours pour aller à son terme,
– Deuxième phase de réintroduction : lorsque la peau est de nouveau exposée au même allergène alors l’eczéma apparaît rapidement en 24 à 48 heures.

  • L’eczéma professionnel peut se voir le plus souvent en fonction des produits manipulés au niveau des bouts des mains, de la pulpe des doigts et de la paume des mains,
  • L’eczéma à la particularité de s’étendre au-delà de la zone de contact voire même de provoquer des lésions à distance :

– Aéroporté (produits volatils),
– Manuportés (mains souillées touchant le visage et les cuisses).

  • Clinique : l’éruption de l’eczéma évolue en quatre phases

– Erythème prurigineux,
– Apparition de vésicules associées ou non à un oedème ou à des bulles,
– Suintement,
– Régression avec apparition de croûtes et desquamation.

  • Les limites sont en général mal définies, émiettées ou l’on ne voit pas toujours des vésicules mais bien souvent des microérosions post vésiculeuses,
  • L’eczéma chronique : est plus sec et formé de :

– Placards erythémato squameux mal délimités, prurigineux,
– Peut se surinfecter, s’impétiginiser avec apparition de croûtes jaunes épaisses associées à une fièvre et à des ganglions douloureux.

  • Anapath : spngiose, exocytose et oedème dermique.

Eléments de diagnostic différentiel entre eczéma de contact et dermite d’irritation

Critères de distinction Dermatose d’irritation Dermatose allergique
Délai d’apparition Rapide (min ou heures) Après exposition 24 à 48 h après une

sensibilisation

préalable

Fréquence collective Individuelle
Symptômes

subjectif

Brûlures Prurit
Aspect clinique Lésions érythémato squameuses,hyperkeratosique avec fissures (eczéma sec) Lésions vésiculeuses souvent très congestives (eczéma humide)
Limites des lésions Nette à la zone de contact Déborde la zone de contact avec bords émiettés
Eruptions secondes absentes Parfois présentes
Histologie Necroses keratinocytaires Reactions inflammatoires discrete Spongiose- exocytose
Tests epicutanés Négatifs Positifs et pertinents avec la clinique

V- Professions exposées :

Les secteurs professionnels présentant plus de risque pour la santé

  • Secteur du bâtiment et travaux publiques :

– Ciments (chromate et cobalt),
– Peinture et vernis (résine époxy, acrylates, polyuréthane).

  • Secteur de la santé :

– Désinfectants,
– Détergents,
– Caoutchouc des gants (latex),
– Médicaments.

  • Secteur de coiffure :

– Colorants,
– Produits de permanente,
– Produits à mèches (persulfates),
– Outils métalliques (nickel).

  • Secteur mécanique :

– Composants des huiles de coupe,
– Métaux et poussières métalliques.

  • Secteur d’entretien et agents de cuisine :

– Caoutchouc des gants,
– Antiseptiques pour les mains,
– Désinfectants de surface.

VI- Explorations allergologiques de l’eczéma de contact :

Le diagnostic d’eczéma de contact allergique est confirmé par des tests cutanés :
– Pour la prise en charge médicale
– Pour la prise en charge ultérieure en maladie professionnelle (la pratique des tests cutanés à l’allergène professionnel est un des éléments essentiel)
– Démarche initiale passe par une recherche rigoureuse d’identification des substances en milieu du travail

  • Précautions à prendre pour les patch-tests :

– Le site testé doit être indemne de toute dermatose,
– Les tests doivent être réalisés au moins deux semaines après la guérison complète cutanée du site de test
– Les tests doivent être maintenus en place durant au moins 48 h,
– Durant la période de pose et de lecture des tests, il ne faut ni mouiller ni les décoller donc il ne faut ni bain ni sport et éviter les traumatismes cutanées : transpiration, friction et pression,
– Pas de dermocorticoïdes sur le site de test depuis au moins 1 semaine, pas de corticothérapie générale ou d’immunosuppresseur par voie systémique depuis 1 mois,
– Les anti-histaminiques ne modifient pas la réactivité cutanée au patch test,
– La technique : comprend l’application du produit dilué dans une substance neutre non allergisante (acétone ou vaseline) sur des pastilles qui sont fixées sur la peau du dos par un sparadrap hypoallergénique et sont laissées in situ pendant 48 h.
– La lecture : se fait à Tissue de ses 48 h et jusqu’à 96 h, 30 minutes après l’enlèvement du matériel afin de permettre l’atténuation de l’effet de pression générateurs de faux négatifs,
– II existe une batterie standard comportant une vingtaine d’allergène les plus fréquemment responsable d’allergie et des batteries spécifiques soit à des professions (batterie coiffure) ou à un groupe de produits (batterie colles, matières plastiques),
– Interprétation : Score International Contact Dermatis Research Group (ICDRG) utilisé à chaque lecture des tests épicutaés.

Score Interprétation Lésions élémentaires
NT Non testé Sert à coter un allergène manquant dans une série
Négatif Absence de réaction
+ ? Douteux Erythème simple
+ Réaction positive faible Erythème et œdème
++ Réaction fortement positive Erythème, œdème et vésicule bien visibles
+++ Réaction violemment positive Erythème, œdème et vésicule coalescentes ou bulles
IR Réaction d’irritation Œdème absent, aspect fripé
  • Autres tests cutanés :

– Test ouvert (open test) : le produit est appliqué sur la peau de la face de flexion de l’avant bras sans occlusion, après vérification du PH. utile pour tester des produits professionnels dont l’effet irritant est inconnu,
– Test semi ouvert : même que le précédent mais celui-ci est recouvert après 20 minutes. Utile pur tester des produits dont la composition est inconnue (colles, peinture, résines…),
– Prick test : la peau est percée par une lancette et une goutte d’allergène est déposée sur la peau, la lecture se fait après 20 minutes .utile pour tester l’urticaire et les dermatites de contact.

VII- Prévention :

A- Prévention technique :

1- Prévention collective :

  • Réduire le contact des travailleurs avec les produits irritants ou allergisants,
  • Substituer ou remplacer certaines molécules chimiques,
  • Employer des procédés en circuit fermé,
  • Automatisation de certaines opérations,
  • Préconiser une bonne ventilation et une bonne aspiration locale,
  • Il faut multiplier les visites et les études de poste afin d’identifier les gestes et les substances à risque.

2- Prévention individuelle :

Apprentissage des gestes professionnels corrects :

  • Eviter de se rincer les mains dans les solvants cas fréquent chez les garagistes,
  • Eviter de plonger constamment les mains dans un produit caustique (détergents),
  • Favoriser le lavage des mains à proximité de la tache professionnelle,
  • Hydrater et assouplir les mains après le travail par des crèmes protectrices.

B- Prévention médicale :

1- Visite d’embauche : on écartera les sujets présentant des antécédents de dermatite atopique des postes exposant au contact avec des substances connues pour leur pouvoir allergisant mais aussi irritant en raison de la vulnérabilité de la peau.

2- Visite périodique : Le médecin du travail doit chercher les signes d’intolérance cutanée, muqueuse, respiratoire ou générale pour décider d’un éventuel écartement du poste dangereux.

Assurer un suivi régulier de la dermatose.

VIII- Réparation :

La réparation des dermatoses professionnelles est réalisée par l’intermédiaire d’environ 30 tableaux de maladies professionnelle :

– Tableau numéro 64 : lésions eczématiformes de mécanisme allergique,

– Tableau numéro 41 : maladies professionnelles engendrées par les pénicillines et leurs sels et les céphalosporines,

– Tableau numéro 47 : affections professionnelles provoquées par le bois.

Cours du Dr Guennoun. – Faculté de Constantine

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