Étude in vitro des antibiotiques

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(Last Updated On: 15 août 2018)

I- lntroduction :

Le but de la réalisation d’un antibiogramme est de prédire la sensibilité d’un germe à un ou plusieurs antibiotiques dans une optique essentiellement thérapeutique. Il sert également :

  • À la surveillance épidémiologique de la résistance bactérienne ;
  • À l’identification bactérienne par la mise en évidence de résistances naturelles.

Il faut garder à l’esprit qu’en pratique, on étudie l’effet des antibiotiques in vitro le plus souvent et dans des conditions normalisées de culture. Ainsi, il faut déterminer des corrélations afin de présumer de l’efficacité in vivo de l’antibiotique et donc de la réussite (ou de l’échec) du traitement sur la base de données biologiques in vitro.

II- Bactériostase :

1- Définition :

La bactériostase correspond à un ralentissement de la croissance d’une population bactérienne, pouvant aller jusqu’à l’arrêt de la croissance. Ceci ne vaut que si la bactérie était en phase de croissance avant le contact. Dans le cas contraire une absence de développement peut aussi correspondre à une augmentation très prononcée du temps de latence.

La bactériostase peut être étudiée en milieu liquide par exemple par un suivi photométrique de la croissance des microorganismes en présence de concentrations variées d’antibiotiques.

2- Concentration Minimale Inhibitrice = CMI :

Le paramètre le plus souvent utilisé pour évaluer l’effet d’un antibiotique est la CMI. Elle correspond à la concentration minimale d’antibiotique qui inhibe la croissance visible du germe en 24H. La CMI explore donc l’effet bactériostatique seulement, (notons que son emploi n’est pas justifié chez un malade immunodéprimé).

On note de bonnes corrélations biologico-cliniques de l’emploi de la CMI, qui est un bon prédicateur de l’efficacité de la thérapeutique antibiotique : Quand elle excède une certaine valeur l’échec thérapeutique est habituel : quand elle est inférieure à une autre valeur le succès est pratiquement assuré. Entre les deux valeurs précédentes, la prédiction est impossible

3- Détermination de la CMI :

La CMI n’est pas, pour une bactérie donnée, une constante biologique. Elle est définie comme étant la plus faible concentration d’une gamme de dilutions d’antibiotique de demi en demi qui entraîne l’inhibition de toute croissance bactérienne visible.

La méthode par dilution successive en milieu solide est la méthode de référence pour déterminer la sensibilité bactérienne aux antibiotiques. Cette détermination exige une standardisation rigoureuse du protocole expérimental (influence de Nnoculum, de l’incubation, de la technique d’ensemencement, des antibiotiques à tester, de la lecture, du milieu de culture et des contrôles de qualité), toute modification des conditions expérimentales rend l’interprétation difficile.

D’autres méthodes sont applicables dilutions successives en milieu liquide (croissance bactérienne appréciée par l’apparition d’un trouble) ; E-Test (bandelettes imprégnées d’un gradient d’antibiotique).

III- Notion de Sensibilité / Résistance :

1- Définition de la résistance :

La résistance des bactéries aux antibiotiques est soit naturelle, soit acquise.

La résistance naturelle d’une espèce ou d’un genre est :

  • Une caractéristique propre, concernant l’ensemble des souches de l’espèce ou du genre
  • Portée par un chromosome donc toujours transmissible à la descendance : transmission verticale

Un caractère permettant de définir le phénotype sauvage ou sensible de l’espèce La résistance acquise, pour sa part :

  • Ne concerne qu’une proportion plus ou moins importante, variable dans le temps
  • Résulte d’une modification génétique par mutation ou par acquisition de plasmides ou transposons, (résistance extra chromosomique) transmissible horizontalement, parfois entre espèces différentes

Définit des phénotypes « résistants ».

Les résistances croisées s’expriment, elles, au sein d’une même classe d’antibiotiques et sont dues au même mécanisme de résistance.

2- Détermination des catégories S/l/R :

On a déterminé les valeurs critiques qui délimitent les catégories cliniques et de proposer un guide pour la détermination de la sensibilité des bactéries aux antibiotiques. Les valeurs critiques définies pour les concentrations et les diamètres des zones d’inhibition, ainsi que les recommandations spécifiques à certaines espèces ou à certains groupes d’antibiotiques

Trois catégories cliniques ont été retenues pour l’interprétation des tests de sensibilité in vitro : Sensible (S), Résistant (R) et Intermédiaire (I).

Les souches catégorisées S : sont celles pour lesquelles la probabilité de succès thérapeutique est forte dans le cas d’un traitement par voie systémique avec la posologie recommandée

Les souches catégorisées R: sont celles pour lesquelles il existe une forte probabilité d’échec thérapeutique quels que soient le type de traitement et la dose d’antibiotique utilisée.

Les souches catégorisées I : sont celles pour lesquelles le succès thérapeutique est imprévisible. Ces souches forment un ensemble hétérogène pour lequel les résultats obtenus in vitro ne sont pas prédictifs d’un succès thérapeutique.

3- Etablissement des valeurs critiques délimitant les catégories cliniques :

La méthode par diffusion utilise la relation entre CMI et diamètre d’inhibition autour d’une source d’antibiotique, la lecture est donc relativement directe. Pour une bactérie et un antibiotique donnés, le diamètre d’inhibition mesuré est comparé aux diamètres critiques :

  • < au diamètre critique inférieur d, la souche est classée R.
  • > a u diamètre critique supérieur D, la souche est classée S.

Les diamètres critiques d et D correspondent respectivement aux concentrations critiques hautes C et basses c.

Les valeurs des concentrations et des diamètres critiques sont définies pour chaque antibiotique

4- Relation avec la CM I :

Aux regards des concentrations et des diamètres critiques sont considérées comme :

—► Sensibles (S) : les souches pour lesquelles la CMI de l’antibiotique testé est ^ à la concentration critique basse (c), ce qui équivaut à un diamètre > au diamètre critique D

—► Résistantes (R) : les souches vis-à-vis desquelles la CMI de l’antibiotique testé est > concentration critique haute C, correspondant à un diamètre < diamètre critique d

—► De sensibilité intermédiaire (I) : les souches vis-à-vis desquelles la CMI de l’antibiotique testé et le diamètre correspondant sont compris entre les deux concentrations critiques et les deux diamètres critiques.

Catégories CMI (mg/L) Diamètre (mm)
Sensible CMI ≤ c Diamètre ≥ D
Résistant CMI > C Diamètre < d
Intermédiair c < CMI ≤ C d ≤ Diamètre < D

IV- Notion de spectre :

À chaque antibiotique est associée une liste d’espèces bactériennes qui constitue le « spectre d’activité » de la molécule. Le spectre naturel, établi dans les premières études avant tout emploi en thérapeutique, reste stable par définition puisqu’il ne prend pas en compte la proportion de bactéries ayant acquis une résistance à l’antibiotique après son utilisation. Cette proportion augmente au cours du temps parce que l’emploi de l’antibiotique exerce la pression de sélection nécessaire à l’émergence de mutants ou de souches porteuses de facteurs extrachromosomiques de résistance. Cette notion doit être connue du clinicien car elle explique des situations d’apparence paradoxale : par exemple, le spectre naturel de la pénicilline G comprend Staphylococcus aureus alors qu’actuellement 90% des souches sont résistantes par production de pénicillinase.

V- Méthodes d’étude in vitro :

A- Antibiogramme :

1- Principe :

L’antibiogramme a pour but de déterminer la Concentration Minimale Inhibitrice (CMI) d’une souche bactérienne vis-à-vis de divers antibiotiques.

2- Techniques classiques :

Méthodes de dilution

Les méthodes de dilution sont effectuées en milieu liquide ou en milieu solide. Elles consistent à mettre un inoculum bactérien standardisé au contact de concentrations croissantes d’antibiotiques selon une progression géométrique de raison 2.

En milieu liquide (figure 1), l’inoculum bactérien est distribué dans une série de tubes (méthode de macrodilution) ou de cupules (méthode de microdilution) contenant l’antibiotique. Après incubation, la CMI est indiquée par le tube ou la cupule qui contient la plus faible concentration d’antibiotique où aucune croissance n’est visible.

Figure 1 : Détermination de la CMI par dilution en milieu liquide.

Ex : La CMI de la souche testée est de 2 pg/mL (premier tube dans lequel aucune croissance n’est visible à l’œil nu).

En milieu solide (figure Ibis), l’antibiotique est incorporé dans un milieu gélosé coulé en boîtes de Petri. La surface de la gélose est ensemencée avec un inoculum des souches à étudier. Après incubation, la CMI de chaque souche est déterminée par l’inhibition de la croissance sur le milieu contenant la plus faible concentration d’antibiotique. La méthode de dilution en milieu gélosé, réalisée avec une gamme de concentrations en progression géométrique de raison 2 est la méthode de référence.

Figure 1bis : Détermination de la CMI par dilution en milieu gélosé.

Ex : La CMI de la souche 3 vis-à-vis de l’antibiotique incorporé à la gélose est de Ipg/mL. La CMI de la souche 2 est de 2 pg/mL. Les déterminations des CMI des souches 1 et 4 nécessiteraient de tester des concentrations croissantes plus fortes en antibiotique.

Méthodes de diffusion : antibiogramme standard

Les méthodes de diffusion ou antibiogrammes standards sont les plus utilisées par les laboratoires de diagnostic.

Des disques de papier buvard, imprégnés des antibiotiques à tester, sont déposés à la surface d’un milieu gélosé, préalablement ensemencé avec une culture pure de la souche à étudier. Dès l’application des disques, les antibiotiques diffusent de manière uniforme si bien que leurs concentrations sont inversement proportionnelles à la distance du disque. Après incubation, les disques s’entourent de zones d’inhibition circulaires correspondant à une absence de culture. Lorsque la technique est parfaitement standardisée, les diamètres des zones d’inhibition dépendent uniquement de la sensibilité du germe.

3- Standardisation :

La fiabilité des résultats d’un antibiogramme est influencée par de nombreux paramètres qui doivent être rigoureusement contrôlés. La standardisation est régie par des documents émanant de l’O.M.S. et des divers comités nationaux. Selon les pays, il peut exister des variations techniques et il est important de respecter une technique identique à celle utilisée pour l’établissement des courbes de concordance.

4- Résultats :

Lecture interprétative de l’antibiogramme

La lecture interprétative de l’antibiogramme est fondée sur la connaissance des phénotypes de résistance. Elle a pour principal but de transformer un résultat catégorisé « sensible » en un résultat « intermédiaire » ou « résistant » en raison d’un risque d’échec thérapeutique. La lecture interprétative nécessite une identification correcte de la souche et une méthode d’antibiogramme parfaitement standardisée. La mise en évidence de phénoypes de résistance hautement improbables compte tenu de l’identification de la souche doit conduire à vérifier l’identification bactérienne, à contrôler la pureté de l’inoculum et à contrôler la technique de l’antibiogramme.

Actuellement, il existe des systèmes informatisés d’aide à la validation des résultats : les systèmes experts qui permettent la recherche de résultats anormaux. Ce contrôle de validation vise à :

  • Vérifier la cohérence germe/antibiogramme
  • Détecter les phénotypes de résistance impossibles
  • Détecter l’absence d’une résistance associée
  • A reconnaître des phénotypes anormaux pouvant correspondre à de nouvelles modalités de résistance.

Rq : Généralisation des résultats à des antibiotiques non testés Le choix des antibiotiques testés repose avant tout sur l’identification du germe et sur la connaissance de sa résistance naturelle. Ce choix dépend également du site de l’infection.

Parmi les antibiotiques susceptibles d’être utilisés en thérapeutique, toutes les molécules ne sont pas prises en compte. En effet, la connaissance des familles d’antibiotiques et des mécanismes de résistance croisée permet de ne faire figurer dans l’antibiogramme qu’un nombre restreint de molécules représentatives.

5- Autres techniques :

Technique en milieu gélosé : le E-test®

La détermination précise de la CM par la méthode de référence est difficilement utilisable en pratique quotidienne. La commercialisation d’une technique rapide et simple, le E-test®(AB Biodisk) permet à un laboratoire une estimation indirecte de la CM (figure 4).

Figure 4 : Le Etest®

B- Au très méthodes :

1- Recherche des béta-lactamases :

Les enzymes inactivant les bêta-lactamines peuvent être détectées par une méthode chromogénique :

Le principe repose sur l’utilisation d’une céphalosporine changeant de coloration après hydrolyse. La molécule la plus utilisée est la nitrocéfine qui, après action d’une bêta- lactamase, vire du jaune au rouge. Des disques de papier imprégnés de nitrocéfine sont commercialisés : Test Céfinase .

2- Recherche de la méticilino-résistance chez les staphylocoques :

Dans les conditions standard de l’antibiogramme, seule une fraction de la population exprime la résistance aux pénicillines M. seules des conditions plus drastiques (incubation à 30°C ; milieu MH hyper salé) permettent une meilleure expression de la résistance. On dépose un disque d’oxacilline à la surface du milieu. La lecture se fait à 24 puis 48H. Une résistance hétérogène se manifeste par la présence de colonies de taille variable autour du disque. La forte présence de SARM en milieu hospitalier rend leur recherche indispensable.

3- Recherche des bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE) :

La technique par diffusion est également utilisée dans le cadre de la recherche de Bêtalactamase à Spectre Etendu (BLSE).

Pour cela on dispose sur la surface d’une gélose des disques de ceftazidime (et/ou de cefotaxime, et/ou de céfépime, et/ou d’aztréonam) et d’amoxicilline-acide clavulanique (pour les entérobactéries) ou de ticarcilline-acide clavulanique(pourle Pseudomonas aeruginosa)

Les BLSE sont des Bêtalactamases et sont donc inhibées par l’acide clavulanique. On observe alors une synergie d’action entre les deux antibiotiques, appelée « bouchon de champagne

Cette technique permet de différencier une bactérie hyper productrice de céphalosporinase d’une bactérie produisant une BLSE dans la famille des Entérobactéries par exemple.

Vl- Cas particulier de l’antibiogramme automatisé :

L’automatisation de l’antibiogramme s’est développée pour pallier aux inconvénients de cette technique manuelle, dont la réalisation est lente. Actuellement, ce terme est utilisé pour désigner des appareils effectuant la lecture et l’interprétation de tests faits manuellement. Ces appareils fonctionnent selon 2 grands principes :

  • Ils miment les tests conventionnels d’étude de la sensibilité des bactéries aux antibiotiques (technique la plus courante : dilution en milieu liquide
  • Ou bien ils comparent la croissance d’un témoin à celle observée en présence d’une ou plusieurs concentrations d’antibiotiques.

Les méthodes d’étude de la croissance des bactéries font appel à des méthodes optiques directes :

  • Analyse de l’image recueillie par une caméra
  • Turbidimètrie (DO d’une suspension proportionnelle à la masse des particules en suspension) ;
  • Néphélémétrie (mesure de la lumière diffractée). En règle générale, la néphélémétrie a une sensibilité supérieure mais un domaine de linéarité plus étroit que la turbidimètrie.

VII- Épreuves de synergie :

L’utilisation d’une association d’antibiotiques est justifiée dans quatre cas :

—► Élargir le spectre d’activité dans les cas d’infections à germes multiples ;

—► Traiter en urgence une infection grave non diagnostiquée ;

—► Prévenir la sélection de mutants résistants lors des traitements de longue durée ;

—► Obtention d’un effet synergique.

L’interaction de deux antibiotiques peut produire quatre effets principaux :

—► Indifférence : l’activité d’un antibiotique n’a aucune influence sur l’activité de l’autre

—► Addition : l’effet de l’association est égal à la somme des effets produits par chacun des antibiotiques pris séparément

—► Synergie : l’effet de l’association est supérieur à la somme des effets produits par chacun des antibiotiques pris séparément : Ex bêta-lactamine (ou la vancomycine) facilitent la pénétration des aminosides

—► Antagonisme : l’effet de l’association est inférieur à la somme des effets produits par chacun des antibiotiques pris séparément : Ex un bactériostatique (tétracyclines, les macrolides ou les phénicolés) diminue l’activité bactéricide des bêta-lactamines

VIII- Conclusion :

L’antibiogramme a pour but de prédire la sensibilité d’un germe à un ou plusieurs antibiotiques dans le but d’adapter au mieux l’antibiothérapie dans un contexte infectieux. Cette étude a lieu in vitro et il convient de considérer d’autres caractéristiques des antibiotiques, pharmacocinétiques par exemple, afin de d’avoir le maximum de chances de guérison pour le malade.

Les techniques de réalisation des antibiogrammes n’ont cessé d’évoluer depuis une vingtaine d’années avec les progrès de l’automatisation. Ceci a permis de diminuer les temps d’attente dans une optique d’optimisation de la qualité des soins, mais également de standardiser au mieux les antibiogrammes. Toutefois, les anciennes techniques n’ont pas disparu, car les techniques automatisées ne sont pas parfaites : les bactéries anaérobies et à croissance lente poussent mal dans le cadre de techniques en milieux liquides. Ceci tend à prouver qu’un laboratoire de bactériologie devrait posséder deux techniques pour réaliser les antibiogrammes : une automatique et une manuelle, afin d’obtenir une complémentarité maximale entre ces techniques.

Cours du Dr RAMDANI Hakim – Faculté de Constantine

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