Introduction :
Les Leishmanioses Cutanées (LC) peuvent être définies comme des zoonoses résultant du parasitisme de l’hôte vertébré par un protozoaire flagellé du genre Leishmania, transmis par la piqure d’un insecte vecteur : le phlébotome
Épidémiologie :
- Agent pathogène : protozoaire flagellé de l’ordre des Kinoplastidae et de la famille des Trypanosomidae, se présente sous 2 formes :
➢ Amastigote : immobile, intra-cellulaire du système réticulo-histiocytaire des vertébrés, corpuscule ovoïde dépourvu de flagelle externe
➢ Promastigote : très mobile, rencontré dans le tube digestif du phlébotome et le milieu de culture, possédant un flagelle antérieur libre qui lui permet de se déplacer activement
- Taxonomie : depuis la description de la première espèce de Leishmania par Laveran et Mesnil en 1903, le nombre d’entités taxonomiques a augmenté pour atteindre une trentaine, grâce surtout aux méthodes de l’électrophorèse des isoenzymes et à la percée de la biologie moléculaire
➢ Espèces normalement responsables de leishmaniose viscérale : elles peuvent parfois occasionner une leishmaniose cutanée sans atteinte viscérale : L. infantum (pourtour méditerranéen, quelques foyers au Moyen-Orient et en Asie du sud), L. donovani
➢ Espèces responsables de leishmaniose tégumentaire :
- Ancien monde : L. major (largement répandue au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) et au Moyen-Orient), L. tropica, L. aethiopica (Éthiopie, Kenya)
- Nouveau monde : L. braziliensis (la plus répandue en Amérique Latine), L. guyanensis, L. panamensis, L. mexicana
- Vecteur : arthropode : phlébotome femelle
- Réservoir : rongeurs sauvages, rats des sables (mériones chaoui), chien, chat…
- Cycle du parasite :
➢ Lorsqu’une mouche infectée prend un repas sanguin chez un hôte mammifère, elle salive au site de piqûre et régurgite, par la même occasion, le parasite sous sa forme promastigote
➢ Le parasite gagne les cellules du système réticulo-endothélial et se transforme en amastigote, s’en suit une multiplication du parasite puis lyse du phagocyte, les parasites libérés sont phagocytés par des cellules avoisines
➢ Le cycle est complété lorsqu’une mouche prend un repas sanguin et aspire des phagocytes contenant Leishmania, dans le tube digestif de l’arthropode, les parasites se différencient, à nouveau, en promastigotes
- Fréquence : à l’état endémique dans 88 pays, Algérie : 30.000 cas (2005)
- Répartition géographique : elle est mondiale :
➢ Ancien monde : bassin méditerranéen, sud de l’ex URSS, Turquie, Asie de l’est (Inde), Afrique (Algérie, Maroc, Tunisie, Niger, Tchad, Nigeria…)
➢ Nouveau monde : Amérique Latine (Argentine, Mexique)
➢ Algérie : longtemps confinée dans le foyer historique de Biskra, la maladie connaît depuis une vingtaine d’année une extension franche vers les hauts plateaux et le nord du pays
Clinique :
- Type de description : leishmaniose ulcéro-crouteuse (bouton d’orient, clou de Biskra)
➢ Incubation : 2-3 mois (de 8 jours à plusieurs mois)
➢ Bouton d’orient :
- Siège : parties découvertes (visage, mains, avant-bras, jambes)
- Lésion élémentaire :
✓ Au début : petite papule prurigineuse, rouge foncée, à sommet parfois pustuleux, unique ou multiple. En une dizaine de jours, une ulcération se constitue, c’est le nodule ulcéro-crouteux :
❖ Nodule : de 2-3 cm de diamètre, mal limité, mobile par rapport aux plans profonds, le centre est creusé par une ulcération généralement cachée par une croute
❖ Croute centrale : adhérente, jaune brunâtre, épaisse, l’arrachement montre des prolongements stalactites filiformes, sur la face inférieure
❖ Ulcération : de forme arrondie ou ovalaire, de 1 à plusieurs centimètres de diamètre, à bords taillés à pic, à fond granuleux et purulent, elle peut être superficielle et étalée ou creusante
➢ Signes associés : pas de douleur ni de prurit, pas d’adénopathies ou de lymphangite sauf si surinfection
- Formes cliniques du bouton d’orient :
➢ Leishmaniose lupoïde : forme particulière, fréquente, nodule ou papule, rose violacé ou jaunâtre, à surface lisse ou squamo-crouteuse
- Vitropression : teinte lupoïde (jaunâtre)
➢ Forme impétiginoïde : lésion squamo-crouteuse étalée, reposant sur un épiderme rouge, parfois quelques ulcérations très superficielles
➢ Forme verruqueuse : plaque bien limitée ± saillante, à surface papillomateuse, hyperkératosique, souvent sèche
➢ Forme pseudo-tumorale : lésion exubérante
➢ Forme sporotrichosique : résulte de la dissémination lymphatique des leishmanies, donnant des abcès sur le trajet lymphatique
➢ Autres formes : du nouveau monde (Amérique Latine)
- Forme cutanée diffuse (pseudo-lépromateuse) : nodules, isolés, très nombreux
- Leishmaniose cutanéomuqueuse
Évolution :
- En général, persistante et stable, devenant stationnaire après quelques semaines d’évolution
- La guérison spontanée survient après environ une année, au prix d’une cicatrice déprimée
- Pas de guérison dans 5% des cas -> leishmaniose cutanée chronique ou récidivante
Diagnostic positif :
- Éléments anamnestiques : notion de séjour dans une zone d’endémie, piqure d’insecte, résistance au traitement antiseptique et antibiotique
- Éléments cliniques : caractère indolore de la lésion malgré la teinte rouge, pas d’adénopathie ou de lymphangite, siège dans les zones découvertes
- Éléments évolutifs : évolution torpide, persistante et stable en absence de traitement
- Éléments paracliniques :
➢ Examens parasitologiques : permettent souvent d’établir un diagnostic de certitude
- Examen direct au microscope optique : prélèvement, frottis de raclage, sérosité recueillie après scarification ou biopsie d’une bordure de lésion + coupe histologique
✓ Coloration May–Grunwald–Giemsa : corps de Leishman intracellulaires
▪ Culture : culture du prélèvement biopsique sur milieu Navy Mc Neal Nicolle ou sérum de lapin (IPA) -> résultats en 3-15 jours, intéressante pour les formes pauci-parasitaires
➢ Histopathologie :
- Dans la forme habituelle : le derme est le siège de granulome inflammatoire polymorphe, au sein duquel coexiste des cellules épithélioïdes + des plasmocytes qui est évocateur. Coloration au MGG -> corps de Leishman
- Dans la forme lupoïde ou récidivante : aspect de granulome tuberculoïde, infiltrat lymphocytaire important avec présence de cellules géantes et des rares cellules épithélioïdes et des histiocytes. Les parasites sont rares
➢ Examens immunologiques :
- Intradermoréaction de Monténégro : sa positivité persiste de nombreuses années permettant un diagnostic rétrospectif
- Sérologie (immunofluorescence indirecte par technique ELISA) : détecte les anticorps circulants, souvent négative dans la leishmaniose cutanée, elle a un intérêt surtout dans le Kala Azar
➢ Examens par PCR : permet de sensibiliser la recherche et l’identification de l’espèce
➢ Typage des leishmanies : à partir des parasites en culture -> intérêt épidémiologique et scientifique ; électrophorèse des isoenzymes permet le diagnostic d’espèce
Diagnostic différentiel :
- Devant sa forme habituelle du bouton d’orient : on élimine surtout les infections cutanées (furoncle, ecthyma, anthrax, mycobactéries atypiques…), rarement : carcinomes, lymphomes, granulome à corps étranger
- Devant la forme lupoïde : sarcoïdose dans sa forme angio-lupoïde, lupus tuberculeux myxomateux, lèpre tuberculoïde, rosacée lupoïde
Traitement :
- Armes thérapeutiques :
➢ Traitements généraux classiques :
- Antimoniate de N–méthyl-glucamine (Glucantime®) :
✓ Présentation : 1 ampoule de 5 ml contenant 1.5 g de produit total, 1 ampoule contient 1/3 du produit actif (425 mg)
✓ Posologie :
❖ Adulte : 60 mg/kg/j de produit total ou 20 mg/kg/j de produit actif
❖ Enfant : 30 mg/kg/j de produit total ou 10 mg/kg/j de produit actif
✓ Schéma thérapeutique : J1 -> ¼ de la dose totale en IM, J2 -> ½ de la dose totale en IM, J3 -> ¾ de la dose totale en IM, J4 -> la dose totale en IM. Faire une première cure de 15 jours suivie d’une fenêtre thérapeutique de 15 jours, une deuxième cure peut être nécessaire
✓ Effets secondaires :
❖ Signes de stibio–intolérance (de type anaphylactique) : éruption cutanée, frissons, hyperthermie, myalgie, arthralgie, diarrhée, vomissement, syndrome bulbaire, toux coqueluchoïde, tachycardie, lipothymie, hémorragies. Ils peuvent se manifester dès la première injection -> arrêt définitif du traitement
❖ Signes de stibio-intoxication : atteinte cardiaque (myocardite, troubles du rythme), atteinte hépatique et pancréatique, atteinte rénale (tubulaire et glomérulaire), accident hématologique (pancytopénie), polynévrite. Ces signes apparaissent au cours ou même en fin de cure (surdosage)
✓ Bilan pré-thérapeutique : fonction rénale (urée, créatinine, chimie des urines), fonction hépatique (TGO, TGP, phosphatases alcalines), NFS, crase sanguine, ECG, radiographie thoracique
✓ Contre-indications : troubles cardiaques (troubles du rythme, BAV), maladie rénale ou hépatique grave, syndrome hémorragique, tuberculose pulmonaire évolutive
✓ Surveillance du traitement : ECG (allongement du QT, inversion de l’onde T), NFS, fonction hépatique, fonction rénale
- Autres :
✓ Pentamidine (Lomidine®) : ampoule injectable de 300 mg, 3-4 mg/kg/j en IM, 1 jour/2, risque de collapsus, toxicité névritique et induction de diabète (5%)
✓ Amphotéricine B (Fungizone®) : flacon de 50 mg/ml à usage hospitalier, adulte : 1 mg/kg/j, enfant : 0.5 mg/kg/j, en perfusion IV, diluer dans 500 cc de sérum glucosé 5%, on commence à la dose initiale de 0.1 mg/kg/j à augmenter par palier hebdomadaire de 0.1 mg/kg/j jusqu’à la dose de 1 mg/kg/j. Sa forte toxicité en limite l’emploi
➢ Traitements généraux altérants : Fluconazole, Triméthoprime + Sulfaméthoxazole
(Bactrim®), Métronidazole (Flagyl®), Kétoconazole (Nizoral®), Chloroquine (Nivaquine®)
➢ Traitement local :
- Infiltration intra–lésionnelle de Glucantime® : si lésion unique ou 2 lésions, 1-2 ml (en fonction de la taille des lésions) aux 4 points cardinaux de la lésion à 1 cm des bords, 1 à 2 fois par semaine pendant plusieurs semaines, ne pas utiliser à proximité de l’œil, péri-orificielle, périarticulaire ou sur un trajet lymphatique
- Traitement physique : électrocoagulation, cryothérapie isolée ou associée à la chimiothérapie
- Chirurgie : à titre curatif (si une seule lésion) ou à titre réparateur (si cicatrice inesthétique)
- Autres : formulation d’aminosides topiques (Paromomycine et Gentamycine), appliquées sous pansement occlusif
- Indications :
➢ Leishmaniose cutanée localisée :
- Abstention thérapeutique : formes simples à L. major d’un bras ou d’une jambe
- Traitement local (infiltration) : si lésion unique ou deux lésions, sans diffusion lymphatique, siège loin des régions péri-orificielles ou périarticulaire. Autres moyens locaux : cryothérapie, thermothérapie, exérèse chirurgicale
- Traitement par voie générale : leishmaniose cutanée récidivante, contre-indication au traitement local, sujet immunodéprimé
➢ Leishmaniose cutanée disséminée : Glucantime® par voie générale en première intention. Si échec : Pentamidine, Fluconazole, Flagyl®, Kétoconazole, Fungizone®
- Traitement préventif :
➢ Lutte contre le vecteur : insecticides, moustiquaires, port de vêtements recouvrant le maximum de surface corporelle
➢ Lutte contre le réservoir : très difficile, leur destruction par les labourages profonds, l’empoisonnement, le déboisement des zones périurbaines n’ont pas donné des résultats escomptés
➢ Vaccination : aucun vaccin n’est disponible
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